Le rôle des adultes au sein des organisations d’enfants travailleurs
Le fait que ces organisations soient dirigées par les enfants ne signifie pas que les adultes n’aient aucun rôle à jouer. Bien au contraire, le besoin du Mouvement Mondial des EJT d’aide et de solidarité de la part des adultes a fourni une opportunité unique et essentielle de révolutionner les relations entre les adultes et les enfants, en créant un environnement de respect et d’apprentissage mutuels. Le rôle des adultes pour promouvoir la participation des enfants a donc été important dans la croissance et le renforcement des mouvements d’EJT.
En effet lorsque que l’on pense à des organisations d’enfants travailleurs et à la participation des enfants, il est facile d’oublier leur origine et contexte, et d’imaginer qu’elles existent seules. En faisant cela, on oublie qu’elles évoluent et interagissent dans un monde dirigé par les adultes, et que les relations avec ces derniers ne sont pas que conflictuels mais peuvent être aussi des relations de soutient. La relation entre les enfants et les adultes est donc centrale dans toute l’approche de la participation des enfants, telle qu’elle l’est pour tout groupe marginalisé.
Relation entre les mouvements d’enfants et les adultes
Il existe différents modes d’être accompagné par les adultes, qui s’appuient sur des conceptions diverses. Le Manthoc avait été conçu à la base comme une association qui devait être indépendante des adultes, dirigée uniquement par les enfants ; mais finalement les adultes qui avaient lancé le projet ont été inclus, à la demande des enfants. En revanche d’autres organisations comme le Mouvement National des Filles et Garçons des Rues au Brésil (MNMMR), Butterflies à New Delhi, ou Qosqo Maki au Pérou, sont des organisations formées par des éducateurs et des bénévoles, et elles sont constituées à la fois des éducateurs et des enfants. Enfin des associations comme Bhima Sangha ou le MAEJT sont indépendantes, et les adultes qui les supportent se présentent dans des organisations volontaires séparées qui s’offrent comme centre de ressources (le CWC, Enda).
Relations entres les adultes accompagnateurs et les enfants travailleurs organisés
La relation avec ces adultes est particulière, comme le souligne Bonnet[1]. En général, quand une organisation s’intéresse à des enfants, ce sont les adultes qui choisissent les enfants bénéficiaires. Ici c’est le contraire : ce sont les enfants qui se tournent vers un adulte : accompagnateur, ami, « Makkala Mitra» (Ami des enfants, Ombudsman)… La personne à laquelle ils accordent leur confiance peut même être sélectionnée selon une procédure formalisée, comme c’est le cas dans l’association Bhima Sangha. Ces adultes, comme le rappelle l’auteur, ne sont pas que des éducateurs et travailleurs sociaux ou des militants syndicaux (donc des professionnels de l’accompagnement d’enfants au travail), mais ce sont aussi des gens qui vivent dans le même environnement que ces enfants, environnement de pauvreté et de difficultés en tout genre, ils connaissent donc et partagent les mêmes situations que les enfants.
La spécificité du travail de ces éducateurs tient aux difficultés de travailler avec des EJT, car ceux-ci manquent souvent totalement de confiance envers les adultes, après les exploitations et abus dont ils ont souvent été victimes, et ce d’autant plus pour les enfants des rues. Aussi la première phase du travail consiste à les mettre en confiance et développer des relations confiantes basées « sur l’égalité et le respect », puis à impliquer les enfants dans des activités au sein de l’association et dans des actions collectives. En effet, impliquer l’enfant dans la réalisation des programmes (participation à l’élaboration et participation aux dépenses) lui permet de se les approprier et donc d’y participer pleinement. Cela inscrit l’action dans la durée, car l’enfant n’abandonne pas, et de plus, cette appropriation lui donne d’autant plus de motivation à ce que l’action fonctionne et qu’elle soit un succès, car ce succès est alors le sien[2].
Rôle d’accompagnement des adultes (facilitator)
Dans une publication du CWC[3], Nandana Reddy et Kavita Ratna s’interrogent sur l’échelle de participation développée par Roger Hart[4], et la critiquent à deux niveaux. Le premier est que loin de représenter les niveaux de participation des enfants, cette échelle met d’avantage en évidence « le contrôle et l’influence que les adultes ont sur le processus de participation des enfants, ainsi que leurs réponses à cette participation ». Le second est que le terme même d’échelle est « trompeur car il implique une séquence, alors qu’en réalité, un niveau ne conduit pas forcément au suivant », il vaut mieux donc parler de scénarios que les auteurs présentent du négatif au positif.
Il y a treize scénarios qui vont comme suit : la Résistance active, le Sabotage , la Manipulation, la Décoration, la Publicité, ou autopromotion, la Tolérance, l’Indulgence, les enfants sont dirigés mais informés, les enfants sont consultés et informés, les adultes sont les initiateurs et ils partagent les décisions avec les enfants, les enfants sont les initiateurs et ils partagent les décisions avec les adultes, processus initié et dirigé par les enfants , et enfin, le processus est conjointement initié et dirigé par les enfants et les adultes
En matière de participation des enfants, il y a deux types de soutien :
le support direct, donné par les gens qui travaillent directement avec les enfants, dans leur vie de tous les jours, et qui est spécialement dédié au bien-être de l’enfant-protagoniste
le support indirect, fourni par les spécialistes, les experts, les universitaires, qui croient dans les visions des mouvements, et qui sont d’avantage dédié à la défense de la cause de la participation des enfants et des organisations d’enfants travailleurs.
Comment alors le soutien des adultes peut-il servir les besoins des enfants ?
Aujourd’hui, les organisations internationales semblent avoir réalisé que lorsqu’on en vient aux réglementations concernant les enfants, ils pourraient avoir droit au chapitre, et ils sont de plus en plus considérés comme parties prenantes. Ceci les conduit à inviter de plus en plus d’enfants aux conférences internationales ou à leur donner un accès direct. Cette méthodologie se heurte à deux difficultés :
– S’ils choisissent un enfant au hasard, qu’est-ce qui peut assurer que ce dernier aura la représentativité et parlera au nom de tous ceux qui sont supposés être ses compagnons de peine.
– S’ils sélectionnent un enfant qui appartient à une organisation ou un mouvement d’enfants et qu’il a été élu par sa base pour les représenter, mais refusent d’inviter un adulte membre de l’organisation qui les soutien localement, n’est-ce pas penser l’organisations d’enfants travailleurs hors de son contexte local, qui incluse le support des adultes ?
Les enfants en soi, ont moins d’expérience et de ce fait sont plus vulnérables. Par conséquent ils ont besoin d’une protection spécifique. Le support direct des adultes au niveau international prendra soin des points suivants :
- Protéger les enfants afin qu’ils ne soient pas manipulés
Le niveau international auquel sont le plus souvent exposés les enfants est celui des conférences des organisations internationales. Elles constituent un monde très spécifique, avec ses règles particulières qui nécessitent une longue période d’adaptation pour en être familier. Elles présentent aussi une large gamme d’intérêts.
Dans ce contexte, la participation des enfants est un concept nouveau, et peu de gens savent comment l’approcher. De plus, les enfants y sont encore plus vulnérables parce qu’il leur manque les relations nécessaires et qu’ils sont loin de chez eux et de leur environnement normal.
Il est donc très important de les protéger avec attention, parce que la volonté d’avoir une ‘représentation visible des enfants’ affichée par de nombreuses organisations, qui se targuent aussi de donner un ‘accès direct aux enfants’, peut facilement mener a la manipulation de ces derniers. Cela arrive lorsque l’on ne leur donne pas tous les moyens nécessaires à leur participation, ou qu’on n’écoute pas leur message. Bonnet mentionne les enfants « pots de fleurs », qui ont été mis la pour la décoration, ou qui n’ont été invités qu’à donner un témoignage sur leur condition difficile, sans qu’on leur demande leur avis sur la solution.
C’est toujours une bonne publicité d’avoir un enfant visible dans un forum, mais aussi il est très facile de l’utiliser. Afin d’éviter cela, le support des adultes doit permettre une participation convenable de l’enfant et lui fournir soutien et protection proches pour qu’il ne se sente ni intimidé ni isolé dans la conférence. Sans ces précautions, l’expérience vécue lors de sa participation à un niveau international peut être très préjudiciable et traumatisante pour un enfant. Il a donc besoin de quelqu’un de fiable en qui il ait confiance. Et qui le connaîtrait mieux que ceux qui travaillent avec lui au quotidien, dans son propre pays ?
- Etre redevable (accountable) envers l’enfant
Comme l’organisation locale d’adultes est très liée au mécanisme qui permet aux enfants d’aller sur la scène internationale, elle a un devoir envers cet enfant, que cela ne lui fasse pas de mal.
En excluant l’adulte d’un forum international, argumentant que seul l’enfant est invite et que seul son avis compte, la protection n’existe plus, l’adulte ne peut donner aucune assurance à l’enfant, et si les choses ne marchent pas bien, l’enfant n’aura personne à blâmer directement. C’est la question d’être redevable.
La relation entre l’adulte et l’enfant construite sur le terrain peut être assimilée à une relation parent-enfant, avec le même type de responsabilités.
- Permettre à l’enfant d’anticiper les conséquences.
Le manque d’expérience des enfants leur donne moins de capacité à anticiper les conséquences de leurs propres décisions, lesquelles peuvent être énormes quand on leur demande de participer à l’élaboration de réglementations internationales. Ils peuvent ainsi prendre des décisions qui peuvent les mettre en danger à long terme. Voilà pourquoi ils ont besoin d’aide, d’être informés des conséquences possibles de leurs décisions, pour qu’ils puissent les prendre de façon éclairée.
Dans le cas contraire, les enfants pourraient être blâmés pour des répercussions qu’ils auraient été incapables de prévoir.
De plus, ce sont les organisations d’adultes locales qui auront à gérer les conséquences, et c’est leur responsabilité de préparer le terrain au niveau local, pour des décisions que les enfants auraient prises. C’est dans le meilleur intérêt des enfants que cette préparation soit prévue, et de ce fait que les adultes participent a l’élaboration des réglementations.
Ici encore, c’est une question de responsabilité entre les enfants et les adultes qui les aident à être dans les conditions propices à prendre des décisions.
- Donner à l’enfant des moyens convenables : ressources – outils – informations
Les enfants ne peuvent avoir une connaissance et une compréhension immédiates des règles de l’arène internationale, parce que ce n’est pas leur environnement habituel et aussi parce que le langage qu’on y utilise est très spécifique, comme le sont les termes des débats qu’on y tient.
Mais ils peuvent comprendre toutes ces informations si elles sont traduites dans leur propre langage, en tenant compte les différences culturelles. Une Indienne de 12 ans et un Sénégalais de 12 ans ne peuvent recevoir la même traduction sous prétexte qu’ils ont le même âge. Ici encore, la personne la plus apte à les aider dans leurs relations avec les instances internationales est celle qui accompagne leur vie tout au long de l’année et qui partage le même environnement culturel.
L’idée n’est pas d’intervenir, ou de dire aux enfants ce qu’ils ont à dire, mais de les préparer à comprendre les instances, ce qu’il s’y dit, et les conséquences de leur propres décisions.
Dans cette perspective, le support des adultes s’attachera à fournir une formation politique, sociale, culturelle, religieuse et économique, encourageant les enfants à considérer tous les aspects de leur vie et de leur environnement, et mettra à disposition des enfants travailleurs des outils pour développer et renforcer leur participation, rendant réel le concept d’enfants comme acteurs sociaux.
- Support économique
Les enfants ont aussi besoin de support économique pour participer à ces conférences, car on ne peut attendre d’un enfant qui lutte déjà au quotidien pour sa subsistance et la reconnaissance de ses droits, d’être capable d’écrire une proposition de base à une institution internationale.
- Aider à donner de la continuité a un mouvement international
Même si les organisations ont une mémoire, la continuité du mouvement international est plus difficile à assurer car les mouvements d’enfants ont un taux de renouvellement élevé dû au fait que la limite d’age est 18 ans, et que les enfants ne commencent à assister aux conférences internationales qu’à 12 ans.
- Apporter une expérience spécifique et de la perspective dans le débat
La prise en compte du support des adultes est une reconnaissance implicite du contexte d’existence de ces mouvements et de l’expérience que les organisations d’adultes ont sur le sujet,
En fait, sur le terrain, les enfants travailleurs ont une forte relation avec l’organisation d’adultes qui les soutient et qui est, dans la majorité des cas, à l’origine dela création et de la croissance de leur mouvement.
Les organisations d’adultes croient également qu’elles ont un message à transmettre, leur mot à dire au sujet du travail et de la participation des enfants, et que leur voix doit être entendue. Parce qu’en travaillant près des enfants pour améliorer leur participation, il y a un grand nombre d’expériences et d’erreurs dont on a tiré les leçons, de la compréhension qui peut apporter une connaissance très utile au niveau international.
- Assurer que la voix de l’enfant soit entendue et respectée
L’existence d’un acteur international défendant la cause du mouvement des enfants travailleurs, avec une forte présence, tel que IWGCL en son temps, qui peut assurer que la voix des enfants soit entendue, et qui a accès a d’autres espaces ou l’on définit des réglementations, qui sache les ouvrir et négocier, est essentielle parce que beaucoup d’ONG qui travaillent directement avec les enfants n’ont pas cet accès aux discussions ou aux débats sur les réglementations, qui ont lieu a un niveau international. Ce puissant acteur pourrait faire contrepoids aux vues de l’IPEC qui est aujourd’hui le seul acteur de poids dans le thème du travail des enfants, et par là, établir une situation de pluralité qui enrichirait le débat.
Conclusion
La relation entre les enfants et les adultes est au coeur de tout le concept de participation des enfants. L’idée n’est pas de laisser les enfants apparaître soudainement seuls dans l’espace public, mais de leur permettre de participer activement, en tenant compte de leurs limites, leurs capacités et leurs besoins. Les enfants ont besoin d’accompagnement durant toute la démarche, surtout s’ils peuvent avoir une influence directe sur l’élaboration de réglementations globales, pour s’assurer qu’ils comprennent pleinement l’impact de leurs décisions.Les organisations d’adultes qui travaillent avec eux sur le terrain sont l’écran protecteur qui évite d’exposer les enfants seuls en première ligne sans protection.
Ce n’est pas une démission des adultes, mais un rôle spécifique, qui vise à rendre possible la participation des enfants. «C’est très important que les organisations d’adultes soient là, non parce que c’est notre droit, mais parce que c’est notre responsabilité. Ainsi ils n’ont pas à combattre dans leur guerre. Ils décident quelles sont les lignes de la guerre, et nous faisons le combat »[5]
[1] BONNET, Michel. Le Travail des enfants : terrain de luttes, p. 20, Edition Page Deux, Lausanne, 1999
[2] Article du CWA, Butterflies, programme for street and working children
[3] “Journey into children participation”, Reddy, Ratna, publication du CWC, traduction d’Olivia Lecoufle
[4] “La participation des enfants – Du Tokenisme à la Citoyenneté”, Roger Hart, UNICEF, 1992
[5] Nandana Reddy, CWC.
Voir aussi : l’introduction, la structure, les activités, les différents messages, l’historique, les déclarations.