Les activités réalisées par les organisations d’enfants travailleurs
- Protection “juridique” : union contre la police, et contre les employeurs abusifs
- Caisse maladie, banque d’enfants
- Des solutions pour l’accès à une éducation alternative
- La prise en charge de soins : santé, alimentation, foyers
- Un espace de récréation et de conscientisation
- Un acteur qui fait du lobbying au niveau national et régional
Au niveau local, les activités des organisations d’enfants travailleurs cherchent à apporter un soutien efficace à leurs membres. Elles concernent donc les différents aspects de la vie d’un enfant travailleur : la protection au travail, des services « financiers », un système d’éducation alternative, des soins divers de santé et d’alimentation, et enfin, offrir un temps et un espace aux EJT pour la récréation et pour la mobilisation. Ces recherches d’alternatives sont tant le signe de l’échec de l’Etat et des institutions que le produit de l’approche activiste de ces organisations, qui, comme le rappelle Miljeteig, encourage l’empowerment des pauvres, ou en tout cas des personnes marginales et désavantagées, et qui leur confère une forte « grassroots nature » : c’est-à-dire aucune confiance dans le gouvernement et les structures formelles en général[1].
1. Protection “juridique” : union contre la police, et contre les employeurs abusifs
La première préoccupation des EJT est de pouvoir travailler dans des conditions décentes. Or, de par leur vulnérabilité et leur manque d’expérience, les enfants font facilement l’objet d’abus et de violences. Particulièrement les enfants des rues, qui sont confrontés non seulement à la violence du milieu urbain en général, mais aussi à celle exercée par la police. Cette dernière, justifiant son comportement en catégorisant ces enfants de délinquants et de voleurs, se permet des exactions telles que maltraitances physiques, rapine, voir même attouchements sexuels et viols.Les employeurs, pour leur part, sont nombreux à profiter de la faiblesse des enfants pour ne pas leur verser leur salaire, et/ou les faire travailler dans des conditions déplorables.
Afin de remédier à cette situation, les organisations d’enfants travailleurs (OET) ont développé une stratégie qui se décline en deux types d’action. La première est centrée sur l’enfant et vise à lui fournir les moyens de se défendre par ses propres moyens : connaissance de ses droits, confiance en soi, mises en situations… Lors des réunions locales en petits groupes, les enfants sont amenés à parler de leur situation, de leurs expériences. Durant ces échanges, entre eux, ils réalisent qu’ils ne sont pas seuls, et que les abus dont ils sont les victimes sont condamnables. C’est le premier pas vers la prise de confiance en soi. Les éducateurs peuvent intervenir pour faire connaître leurs droits aux enfants. Ensuite, lors des récréations, nombre sont les associations qui favorisent l’expression et la mise en situation de ces enfants au travers de pièce de théâtre. Les enfants « répètent » des scènes de leur vie de tous les jours, et apprennent à répondre à ceux qui tentent d’abuser d’eux. Ils réalisent qu’unis ils sont plus forts, et apprennent aussi à se défendre en groupe.
Le second volet des actions menées par les organisations d’enfants travailleurs pour défendre les droits de leurs membres s’appuie sur de la dénonciation et du lobbying auprès des notables pour obtenir un meilleur traitement des enfants. Par exemple, à New Delhi, l’association Butterflies a fait parvenir de nombreuses lettres, écrites collectivement, dans lesquelles les EJT dénoncent les exactions commises par la police. Ces lettres ont été envoyées à cette dernière, et ont été suivies de rendez-vous. Des activités du même genre au Brésil ont permis aux MNMMR de passer un accord avec la police, et d’assurer la protection des enfants des rues. Face aux employeurs, la stratégie est la même : dénonciation publique. Les modalités peuvent varier, ainsi l’association Bhima Sangha, en Inde, qui a davantage une implantation rurale, s’appuiera sur les notables de la région ou du village, et obtiendront des résultats en menaçant l’employeur de l’opprobre de ces concitoyens. Parfois, cependant, surtout dans le milieu urbain, qui est plus impersonnel, cette menace ne suffit pas, et les enfants tentent alors des recours juridiques, et ce grâce à l’appui d’un référent chez les adultes.
2. Caisse maladie, banque des enfants
Les organisations d’enfants travailleurs prennent aussi en charge un autre aspect crucial pour les enfants : celui de leurs revenus. Tel un syndicat d’adultes, les EJT prévoient caisses de secours en cas de maladie. De plus, afin d’épargner et de pouvoir faire des emprunts, dans la mesure où les banques ne leur sont pas ouvertes, ils créent des « Banques d’enfants ». Ces caisses leur permettent de faire des économies sur leurs maigres revenus et donc leur donne une opportunité d’améliorer leur condition, avec par exemple l’achat de meilleurs outils de travail, une possibilité d’anticiper un peu. Ces banques sont particulièrement importantes pour les enfants des rues, qui n’auraient pas d’autres lieux où conserver leur capital. Elles permettent aussi de contracter de petits emprunts qui peuvent servir à acheter du matériel pour rendre leur travail plus performant.
Au sein de Butterflies, les enfants peuvent déposer quelques économies, s’ils n’y touchent pas pendant plus de 6 mois, ils reçoivent 50% d’intérêts[2]. Pour faire un emprunt, un enfant doit être accompagné de deux garants qui ont aussi un compte dans la banque. La banque est entièrement tenue par les enfants, qui apprennent à se servir d’un livre de comptes. Lors de la rencontre de Sienne, l’auteur a pu rencontrer Ajay, 14 ans, qui avait eu la fonction de directeur de la banque un an plus tôt. De plus, les enfants sont encouragés à laisser des économies en échange de leur repas. Dans un centre de nuit, ils paient leur repas, mais cet argent ne sert pas à les nourrir, mais part dans la caisse des économies. Le montant laissé est à la discrétion des enfants.[3]
De même, l’expérience de l’association Qosqo Maki, qui accueille des enfants travailleurs vivant dans la rue pendant la nuit dans un Dortoir municipal. Une cagnotte a été installée, qui originellement devait servir à payer le kérosène utilisé pour préparer le petit-déjeuner. Au fil du temps, les enfants ont multiplié les usages de cette cagnotte (et donc aussi des cotisations qu’ils versent, et qui restent non obligatoires et à la discrétion des participants) : elle sert à présent à payer la nourriture d’un enfant qui devrait garder le lit quelques jours, accorder des prêts pour le capital travail d’un enfant, mais aussi organiser des activités telle qu’un week-end à la campagne, un tournoi de foot, ou encore un concours de danses folkloriques.
3. Des solutions pour l’accès à une éducation alternative
Le droit à l’éducation est inscrit non seulement dans les conventions internationales mais aussi dans les déclarations fondamentales des OET elles-mêmes :
– le droit à apprendre à lire et à écrire
(10e droit de la Déclaration de Bouaké, 1994),
– Nous voulons une éducation avec des méthodes qui soient adaptées à notre situation
(4e droit de la Déclaration de Kundapur, 1996).
Afin de concrétiser ce droit, les organisations d’enfants travailleurs agissent selon différentes approches. L’une d’entre elles consiste à obtenir des écoles et autres institutions officielles d’enseignement qu’elles s’adaptent aux besoins et aux contraintes des EJT. Ainsi, de nombreuses écoles, suite aux pressions exercées par des OET, ont changé leurs horaires. Au Pérou, le Mouvement National des EJT Organisés du Pérou (MNNATSOP) a écrit son propre programme d’études qui est même utilisé dans des écoles du gouvernement. Quand, malgré ces arrangements les enfants ne peuvent assister aux cours, notamment dans le cas des domestiques, car leurs employeurs les en empêchent, les OET font pression sur ces derniers pour qu’ils libèrent leurs employées le temps des cours.
Une autre stratégie consiste à donner les cours non pas dans un centre formel, mais à l’extérieur, dans la rue. Elle est particulièrement adaptée aux enfants des rues. Ces derniers, pour avoir vécu souvent de longues années dans les rues ont déjà des connaissances impressionnantes quant à leur situation, leur travail, et leurs expériences. Aussi ils ont des besoins éducatifs particuliers, qui partent de ces expériences[4]. Certaines ONG, telle que Butterflies, qui s’occupe d’enfants des rues à New Delhi, n’ont pas de « centres » où regrouper les enfants, les classes se donnent directement dans la rue : au coin, dans un parc, sous un abri bus… Ces cours se donnent à différentes heures selon les besoins, tant le jour que la nuit. Ceci permet de plus d’être visible pour davantage d’enfants que ceux déjà impliqués par l’organisation, ils peuvent alors s’arrêter un instant, et profiter de quelques cours.
4. La prise en charge de soins : santé, alimentation, foyers
Le droit à la santé et à des soins est aussi un droit réclamer par les EJT. Ces derniers qui sont souvent en situation précaire, parfois dans la rue, sinon, chez leurs employeurs, peuvent avoir de grosses difficultés d’accès au système de soin de leur communauté. Aussi pour combler cela, certaines organisations dispensent des soins dans la rue, comme l’unité mobile de Butterflies[5], ou elles peuvent aussi fournir des ressources pour aider l’admission de ces enfants dans les hôpitaux. Le travail de prévention est aussi très déterminant pour aider les EJT, il se décline surtout dans la thématique d’éducation de santé : hygiène, MST, drogues, connaissances sur le corps humain, maladies communes.
D’autres organisations offrent une cuisine, un espace, pour les enfants itinérants, ainsi que parfois un service de restauration pour les aider à avoir une alimentation plus saine et moins dispendieuse. L’expérience de Butterflies est en ce sens très riche d’enseignement. L’association décida de monter Meals On Wheels : restaurant géré par des enfants (au départ 12) pour tout l’aspect cuisine, gestion du temps, répartition des tâches. Un seul adulte sert de manager afin de superviser, et les quelques fois où il s’est absenté plus d’une semaine, il s’est avéré que les enfants ont même réussi à augmenter les gains.
Enfin, de nombreuses organisations, telle Qosqo Maki, offre un toit à ces enfants, un foyer de nuit, un dortoir. La particularité reste toujours que les enfants doivent participer au fonctionnement et à la gestion du foyer. De plus, dans ces foyers, il y a des éducateurs qui les respectent dans leur décision de travailler, ou pour certains à Cusco, de vivre hors de leur famille.
5. Un espace de récréation et de conscientisation
Enfin, il ne faut pas oublier que ces travailleurs restent des enfants. Les OET sont aussi un lieu de rencontre, leurs membres essaient de développer des espaces de récréation et des temps durant lesquels ces jeunes travailleurs peuvent enfin être des enfants. Ainsi, Butterflies, qui n’a pas de centre fixe, accueille les enfants des différents « points de contact » une fois par mois, afin qu’ils se retrouvent tous, partagent leurs expériences et puissent jouer entre eux. En fixant une date précise (une fois par mois) elle permet aux enfants de venir, de s’organiser, de prendre le temps d’une récréation.
Ces réunions sont autant un support psychologique où les EJT peuvent parler et échanger leurs problèmes, leurs difficultés, raconter les abus dont ils sont victimes (violence de la part de la police, de leurs employeurs, abus sexuels ; viols… ), qu’un espace où ils vont apprendre leurs droits et apprendre à se défendre. C’est enfin un espace où leur parole est respectée et où leurs expériences sont valorisées.
Grâce aux différentes activités locales de l’organisation, les enfants prennent conscience de leur droit, et de leur capacité d’influencer la société grâce à leur union. Ils réalisent aussi, avec l’aide de leurs éducateurs, que les conditions de travail sont soumises à des lois, qui sont discutées soit au niveau national, soit au niveau international. Leur mobilisation locale se tourne alors vers l’extérieur de leur communauté et ils apparaissent sur la scène internationale pour revendiquer une amélioration de leurs conditions.
6. Un acteur qui fait du lobbying au niveau national et régional
Au niveau national, les organisations d’enfants travailleurs font aussi du lobbying auprès des gouvernements ou de leur gouvernement local. Le MNMMR au Brésil a obtenu un droit à être consulté pour les législations concernant le travail des enfants. En Inde, l’expérience de Bhima Sangha est particulièrement édifiante. Les enfants ont établi un système de Panchâyat (parlement de village) d’enfants dans l’Etat du Karnataka, qui double les parlements de village des adultes. De plus le Mouvement indien des EJT s’implique activement pour faire pression sur son gouvernement afin que celui-ci ne signe pas la convention 138 sur l’âge minimum qui les ferait basculer dans l’illégalité.
En Afrique, le MAEJT a mis sur pied un système original pour mieux coordonner leurs actions et de permettre à ces nouveaux membres de renforcer leurs capacités : il organise des de Missions d’Appui Technique (MAT), qui consiste à envoyer des consultants, souvent ex-EJT, pour aider les EJT à s’organiser.
[1] MILJETEIG Per, Participation and Protagonism make children and youth stronger and more competent, 2001[2] article CWA, Butterflies
[3] vidéo Les Enfants en lutte
[4] article CWA, Butterflies
[5] Vidéo : Des Enfants en Lutte
Voir aussi : l’introduction, la structure, les différents messages, l’historique, les déclarations, le rôle des adultes.